DENISON WITMER – Recovered
(Fugitive)
Enfin ! quelqu’un qui s’occupe de revisiter les glorieuses (et souvent sous-estimées) 70’s américaines. Denison Witmer, auteur de quelques beaux albums de folk-pop désenchantée, se consacre ici à certains fleurons de cette époque, épitomé du songwriting adulte (c’est à dire allégé de ses oripeaux hippies, et peu tenté par les digressions soniques du moment) et point culminant de la production analogique, à la fois précise et sans apprêts. Sans recours à une électricité ramenarde, sans mot d’ordre collectif, certaines des chansons les plus marquantes de ces années se recentrent sur l’angoisse existentielle de leur auteur. C’est ce répertoire égocentrique de douce perdition, avec des paroles d’une sincérité souvent dérangeante (culpabilité, remords, manque) que reprend Witmer. Certes, il manque à mon goût quelques monuments (les Carpenters, Spirit, Bread, Joni Mitchell, Judee Sill ou Carly Simon) mais la visite au pays du country-rock, du folk ou du soft-rock est jouissive. Avec une voix proche de celle d’Howie Beck (donc d’Elliott Smith et de Joe Pernice) et une instrumentation sobre, Denison couvre quelques années fastes entre la fin du rêve hippie et la nouvelle vague new-yorkaise. Certes il ne prend pas de grands risques avec Big Star ("Night time", composition d’une beauté immaculée), Neil Young (le languissant "Love in mind)", ou Gram Parsons ("Brass Buttons", déjà repris par Evan Dando). Mais l’interprétation réussie de quelques oeuvres plus… sujettes à discussion projette un éclairage nouveau sur quelques auteurs sans crédibilité évidente : comme Jackson Browne (dont le chef d’oeuvre ultime repris ici, "These days", est plus connu dans la version de Nico), auteur pour les Eagles de "Take it easy". Ou le Fleetwood Mac de "Rumours" (bien que la reprise du double album "Tusk" par Camper van Beethoven m’avait fait reconsidérer ce groupe aseptisé). De même, The Band ("It Makes No Difference") a droit à un traitement qui me donne envie de réécouter l’intégralité de "The Last Waltz" dont j’ai pourtant un souvenir mitigé. La reprise de Graham Nash ("Simple man", de son premier album solo) prend ici également une autre dimension que la version bêtasse d’origine. Le clou de ce disque reste cependant la reprise de Carole King, "So far away" : d’un morceau déjà merveilleux, Witmer fait une ode encore plus amère et poignante. Seul bémol : la reprise hors-sujet du "Suzanne" de Leonard Cohen, plate et peu inspirée. "Recovered" n’est pas le disque de reprises de Cat Power ou de Stina Nordenstam : Witmer reste très respectueux des mélodies de ses aînés, pas de déconstruction ou de re-création à l’horizon. Seule son interprétation donne l’étoffe à tout ce potentiel mélancolique des compositions 70’s, parfois masqué dans les versions originales par un savoir-faire un peu voyant et une instrumentation redondante. Tout disque de covers est finalement le fruit de deux pathologies contradictoires : l’aveu d’impuissance par rapport au talent de ses pairs et l’orgueil de se confronter à -ou de malmener- ceux-ci, un mélange pervers d’admiration et de jalousie. Mais au delà du symptôme, c’est aussi souvent une indicateur précieux et intime du parcours musical ou personnel du repreneur. Ici, Witmer s’en tire plus qu’honorablement : en toute humilité et simplicité, il parle de lui-même au travers des chansons des autres. (I’ve) "Recovered" signifie "Je vais mieux". Comme quoi la musicothérapie, ça marche.
Laurent Vaissière
Simple Man
Songbird
Love in Mind
Nightime
Farther On
Brass Buttons
So Far Away
It Makes No Difference
Suzanne
These Days