Slanguage a beau être le troisième album quAwol One nous concocte avec le producteur Daddy Kev et le DJ D-Styles, après Souldoubt et Number 3 on the Phone, le trio ne nous avait pas encore fait ce coup là. Délaissant les petites instrus rap bien calibrées dont il était coutumier sur les autres disques, Kev sest engagé cette fois dans un délire formel total inspiré du free jazz. Revirement étonnant mais qui a tout à fait sa place sur Mush (le plus audacieux des labels hip hop) et qui, après tout, correspond assez bien à la dégaine dAwol One, à sa voix éraillée, à ses chantonnements divrogne, à ses freestyles et à son rap tout en divagations.
Slanguage, cest donc près dune heure dinstrumentation débridée, de bouts de basse, de piano, de guitare jazz et de cuivres, de percussions acrobatiques et de scratches tout aussi osés placés ici ou là. Cest une succession continue dinstrumentaux calmes et effacés, sous lesquels le feu couve, et de musique haletante, emportée et incendiaire. Et cest naturellement, pour accompagner cela, le emceeing erratique dAwol One qui, plus encore quà laccoutumée, passe du rap au récit puis aux chantonnements (« my girlfriend, she loves to watch me ripe the mi-i-i-iiii-i-ic »), de la pensée libre et du flot de paroles improvisées (le stream of consciousness) à la formule qui fait mal et qui se retient.
Sur Finger Paint with… par exemple, Awol One commence son rap à la façon du Black Steel de Public Enemy (« I got a letter from the government the other day… »), puis le détourne subitement dans une direction inattendue (« …opened and read it and then I got anthrax. Damn, I used to think it was the name of a band »), le tout sur fond de petits crissements efficaces et de grand orchestre menaçant. Et cela nest que le plus notable des titres, le plus remarquable à la première écoute. Dautres moments de jouissance se révèlent au fil du temps (The Rules of the Week), qui démontrent qu’Awol One et Daddy Kev se tirent plutôt bien de cet exercice casse-gueule. Il faudra cependant sans doute plus longtemps pour savoir si Slanguage est aussi inégal que les deux albums précédents des compères ou si le rap tient ici son Fun House.