CATH CARROLL – England made me
(Factory / Ltm / Pop Lane)
Dans les années 80 et au début des années 90, Manchester est sans doute la ville la plus productive en matière de bons groupes. Cela se confirme avec le cas de Cath Carroll chanteuse mancunienne (très) injustement oubliée. Cette militante féministe a participé activement à la vie musicale de l’époque : journaliste du NME, manageuse de Ludus, rédactrice d’un fanzine. Elle faisait de la muscu dans la même salle de sport que Peter Hook , et (fait nettement plus mythique), a été l’une des rares filles à être signée sur le label Factory. D’abord avec son groupe Miaow en 1984, sorte de croisement ludique entre les Smiths et the Fall, puis avec son premier album solo le sublime "England made me".
En marge des groupes qui s’adonnaient alors joyeusement à une pop teintée de house, "England made me" s’inscrit dans une lignée d’élite qui lorgne depuis longtemps sur le soleil brésilien et son jazz suave. On appelle ça "escapism", et A Certain Ratio, Kalima, Quando Quango, Ludus, notamment, s’en donnent à coeur joie.
De même, pour Cath, être née à Manchester n’est pas une chance, mais une malédiction dont elle fait les frais. Sur "England made me", la chanson titre, elle avoue ce qui peut résumer l’esprit de sa musique : "L’Angleterre m’a faite, m’a prise, m’a violée et m’a brisée". Elle s’échappe donc à sa condition d’anglaise prédestinée (condamnée ?) au rock en plongeant dans des influences jazzy et bossa. Elle décide même d’enregistrer ses titres à Sao Paulo. Mais on est loin ici de la légèreté façon Gilberto, "England made me" est une structure complexe, à l’électronique raffinée et aux mélodies millimétrées. Cath n’a pas choisi la simplicité , et les critiques semblent lui reprocher. Jugée trop musicienne , trop appliquée , trop soucieuse, pour les premières oreilles qui écoutent l’album, elle en fait trop ! comme si les chanteuses pop devaient se cantonner à l’allégresse d’une Claudine Longuet.
La voix puissante et mutine de Cath Carroll peut irriter (un magazine de l’époque, le Evening Standard, l’a comparée à Morrissey), tout autant qu’elle peut fasciner, mais c’est le type de voix même qui vous fend le coeur.
Car la musique de Cath Carroll, tout comme sa voix, n’en appelle pas à l’esprit, mais aux sens (même si la musique est extrêmement travaillée).
L’ambiance ici est chaude comme les plages de Copacabana, et on se laisse facilement entraîner par les guitares sales, les breaks rythmiques entêtants, notamment parce que l’album débute par la sensualité dansante de "moves like you", aux allures tubesques, qu’on retrouve sur une des compiles "Palatine". Cette réussite "dance-pop-electro" absolue préfigure à elle seule le meilleur de Saint Etienne.
La sublime "Train you’re on" nous trouble au plus profond de nous-mêmes avec ces chuchotements et son rythme lourd et sensuel . Caliente!!!
"Next time" a des airs de samba endiablée. Cath Carroll se place très près du soleil. Si sa place n’est pas à Manchester, sans doute est-ce parce que Cath Carroll mérite le ciel.
Sa voix puissante, et son physique sexy et félin auraient pu faire d’elle une sorte de Björk indie, mais Cath hélas est tombée dans l’oubli. Réfugiée aux Etats Unis, où elle continue à écrire des chansons de folk triste et intimiste, et des livres (dont une biographie sur Tom Waits), elle pourrait cependant devenir de nouveau moderne. En effet après la ressortie de "England Made Me", les Temps Modernes ont commercialisé en novembre 2002 "The Gondoliers of Ghost Lake", ainsi que des rééditions de Miaow . Et "True crime hotel" est à venir pour cette année, et ce serait un vrai crime que de passer à côté. Remercions encore Ltm de livrer cette remarquable bataille contre l’oubli.
Moves Like You
Unforgettable
Beasts On The Street
Train You’re On
Send Me Over
Subtitled
Watching You
Next Time (He’s Mine)
To Close Your Eyes Forever
Too Good To Live
Moves Like You (7" Remix)
Send Me Over (Alternate Mix)
Beasts On The Street (John Fryer Remix)
England Made Me