MARTIN L. GORE – Counterfeit2
(Grabbing Hands Music / Mute) [Site]
Martin L. Gore est bien l’âme noire de Depeche Mode, son éminence grise et sa voix blanche. Auteur-compositeur, on lui doit aussi l’interprétation des morceaux les plus effrontément romantiques du groupe, de "Some Great Reward" ("Somebody") jusqu’au récent "Exciter" ("Breathe") en passant par "Black Celebration" ("A Question of Lust"). À lui les chansons de foi, de dévotion et d’amour transi, sa douceur vocale lui assurant le statut éventuellement enviable d’éternel jeune homme tourmenté. C’est donc sans surprise que, pour construire ce recueil de reprises, on le voit piocher dans sa discothèque les morceaux de quelques aînés réputés pour leur mélange de désir et de cruauté (David Bowie, Lou Reed), de religiosité et de noirceur (Nick Cave). Malgré un certain mélange de rouerie et de professionnalisme qui lui permet de s’approprier sans difficulté ces partitions, ces univers, trop proches du sien, ne sont pas ceux qui lui réussissent le plus. Les vraies surprises sont ailleurs et l’on peut dire que, dans l’art délicat de la reprise, Martin frappe fort au moins deux fois, sur des projets moins prévisibles : la variation électro du standard country de Hank Thompson, "I cast a lonesome shadow", porté par une rythmique robotique et froide, sied admirablement à ce texte angoissé. Le morceau semble d’ailleurs franchement plébiscité, par les fans, par Bernard Lenoir qui le diffuse sur Inter, ou simplement par les amis de passage à qui je passe le disque et qui s’arrêtent invariablement dessus.
L’autre grande réussite, à mon goût, éclate sur la cover de Lennon et Ono, un "Oh my love" sobre et pertinent, douloureusement fragile. Aucune trace de suture entre l’original et la reprise, Martin endosse la chanson comme un vêtement longuement porté et choyé. Certains des autres morceaux nous éloignent parfois du tout électronique (piano et guitare pour la reprise de Julee Cruise, ambiance orchestrale -inhabituelle chez l’anglais- pour le Kurt Weill), avec un je-ne-sais-quoi de décalé, de naïf et de charmant. Sur le reste du disque, le musicien, qui n’a jamais été un génie de la musique électro mais a toujours su mettre en valeur un savoir-faire évident et donner à ses compositions une identité sonore remarquable, immédiatement reconnaissable, s’inspire avec discrétion et goût de quelques disques devenus références : il y a ainsi quelque chose de Björk (période "Vespertine") et de Plaid sur "By this river", une légère réminiscence de "Mezzanine" sur "Das Lied von eisamen Mädchen". L’ensemble, sans faire preuve d’une originalité visionnaire, tient bien l’équilibre de l’hommage et du détournement, de l’arrangement et de l’inspiration, ce qui, après vingt ans de bons et loyaux services, manifeste à la fois humilité et fraîcheur. Qui, dans sa génération, peut encore revendiquer de telles qualités ?
David
In my time of dying (traditionnel)
Stardust (David Essex)
I cast a lonesome shadow (Hank Thompson)
In my other world (Julee Cruise)
Loverman (Nick Cave)
By this river (Brian Eno)
Lost in the stars (Kurt Weill)
Oh my love (John Lennon / Yoko Ono)
Das Lied von einsamen Mädchen (Werner Heymann)
Tiny girls (David Bowie / Iggy Pop)
Candy says (Lou Reed)