THE SPECIALS – Specials
(Capitol)
Specials est un disque à la fois daté et atemporel, emblématique du revival ska à la charnière des années 70 et 80 sans pour autant avoir pris une ride. Le son très tranchant aussi découpé qu’une crête rocheuse et issu du travail de production d’Elvis Costello n’y est sans doute pas étranger. La réédition du premier album des Specials permet de (re)découvrir la formation de Coventry, dont quelques singles sont d’ores et déjà passés à la postérité. Dans le sillage du punk, le groupe assure la première partie des concerts de The Clash en 1978 et enregistre le single "Gangsters" qui
précède de quelques mois la sortie en octobre 1979 de ce premier album sur 2 Tone Records, label indépendant en forme de manifeste multiracial. Les reprises de standards du ska le jalonnent, de l’introduction "A message to you Rudy" à la conclusion "You’re wondering now", de l’avertissement au mauvais garçon ("Rude boy") à son jugement dernier, en passant par "Too hot" et "Monkey man". Les cuivres y sont omniprésents. Les morceaux originaux des Specials allient les influences ska et l’énergie punk, et ils se caractérisent par l’usage de claviers nasillards qui, même à l’époque,
devaient sembler désuets. Mis bout à bout, ils dépeignent de manière réaliste l’Angleterre thatchérienne des villes grises et déshéritées, touchées de plein fouet par le chômage de masse, où le racisme du National Front s’exprime violemment. Engagés sans donner de leçons, les Specials incarnent – pour le meilleur – une époque ou rock et politique se rencontraient encore. La contribution de Jerry Dammers, excellent compositeur et fin parolier, s’avère déjà essentielle. Sur "(Dawning of a) new era", il jette un regard désabusé sur la vie dans les grands ensembles ("This ain’t exactly heaven"…).
"Stupid marriage" met en scène une parodie de procès, où un délinquant – Terry Hall – doit s’expliquer d’un carreau cassé devant un juge intransigeant, interprété avec beaucoup d’humour par Neville Staples. "Too much too young", plaidoyer en faveur du planning familial, est un peu trop long et trop lent sur l’album, mais une version live raccourcie et dynamisée est proposée sur la section vidéo du Cd. Les Specials sont d’extraordinaires performers, occupant la scène comme des ouvriers occupent une usine, avec fermeté et résolution, devant un public littéralement électrisé.
En vidéo également, "Gangsters", premier single du groupe à entrer dans le top ten – et probablement l’un des meilleurs. Inspiré du "Al Capone" de Prince Buster pour la musique et par les conditions plus que rocambolesques du premier voyage du groupe en France pour les paroles (toute l’histoire est racontée sur le site thespecials.com), le morceau transpire d’inquiétude, celle-là même que l’on retrouvera quelques mois plus tard dans "Ghost town". Les Specials y arborent la panoplie qui est resté gravée dans l’inconscient collectif du rock – chapeau pork pie, costume noir et lunettes de soleil – image d’Epinal d’un groupe majeur, fondamentalement politique et festif.
Message to You Rudy
Do the Dog
It’s Up to You
Nite Klub
Dosen’t Make It Alright
Concrete Jungle
Too Hot
Monkey Man
(Dawning of A) New Era
Blank Expression
Stupid Marriage
Too Much Too Young
Little Bitch
You’re Wondering Now