TUE-LOUP – Penya
(Le Village Vert / Wagram)
Il y a ainsi des atomes crochus qui ne s’expliquent pas. Certains ne se sont jamais remis de "Veuillez Rendre l’Ame" ou de "La Fossette". D’autres continuent à pleurer sur le premier 45 tours de Murat ou sur l’ultime album de Diabologum. Me concernant, il s’agirait plutôt de "La Bancale", le deuxième album de Tue-Loup. A chacun son album français à la douleur marquante. Autant dire que ma chaîne hi-fi se languissait de Tue-Loup. Quant à moi, c’est toujours fébrile et anxieux que je découvre chaque nouvel album de Tue-Loup de peur de me prendre une grande baffe musicale où se mêlent plaisir morbide et catharsis douloureuse.
Après une première écoute de "Penya", un constat s’impose : Tue-Loup évolue mais toujours dans la limite des contours flous de cet univers personnel, fait de guitares et d’intransigeance.
"Penya" tranche d’abord par une prise de distance de ses auteurs vis à vis de leur musique. Si la Bancale était un disque à vous enfermer chez vous et à maudire le reste de l’humanité (les filles, en particulier) des étés durant, c’est en partie parce qu’il était infiniment confessionnel et personnel. Le déballage intime ne facilite que rarement le recul. A ce titre "La Bancale" était chanté à la première personne, alors que "Penya" l’est plus aisément à la troisième personne. Chose plus étrange, Xavier Plumas se met ici à la place de personnages féminins ("Le Facteur Cheval", "Le Temps Long") pour un exercice de style plus que troublant. Il y a un détachement nouveau, des maux moins à vif. "Penya" n’en est pour autant pas un disque léger et possède ainsi son lot de rages confinées. "Toro" ouvre le bal avec une mise à mort de la virilité. "Aux Orties", c’est là que Xavier Plumas se propose de livrer tout ce qui relève des "promesses faciles", un hymne à l’exigence. Sur "Celcius" et "Le Temps Long", c’est l’ennui et la lassitude qui menacent de saper le moral de l’auditeur. "La Buse" voit un spectre constater la décomposition de son propre cadavre. La décrépitude, la frustration amoureuse, l’ennui autant de thèmes chers à Tue-Loup, des thèmes que le groupe creuse maladivement à longueur d’albums. Ces sujets récurrents sont toujours traités avec cette imagerie empreinte de mythes personnels, de symboles et d’un bestiaire fourni. C’est en cela que l’écriture de Xavier Plumas est rare, toujours imagée donc poétique mais parfois matinée d’une crudité réaliste voire triviale.
Musicalement "Penya", se distingue par l’emploi du piano qui influe une couleur jazz ou blues au folk nerveux de Tue-Loup et l’adoucit également. Doux c’est, aussi ce que suggère le son plus rond, plus confortable du groupe. Il est à noter que le groupe vient aussi flirter avec le rap en compagnie d’un invité qui déverse un flot rageur sur des guitares soudainement moins polies. Des essais qui peuvent laisser l’auditeur tantôt perplexe, tantôt séduit. Si les guitares se font globalement moins violentes que sur "La Bancale", "Penya" demeure un album plus tendu que "La Belle Inutile", le précédent opus de Tue-Loup. "Penya" renoue en effet avec les lentes montées émotionnelles de ses morceaux ("Aux orties" et ses chœurs féminins, "Buse", "Toro") un peu absentes du précédent album. Sinon les six-cordes prolongent leur contrat de mariage aux ententes merveilleuses entrecoupées de disputes âpres. La guitare électrique de Thierry Plouze incise nerveusement les belles mélopées acoustiques de Xavier Plumas mais peut tout aussi en renforcer la délicatesse ("Le facteur Cheval"). Et puis il y a cet art indétronable de la langeur musicale presque monotone subitement contrebalancée par un refrain à vous rompre le cœur, "Maloya" en est un bon exemple. Mais le sommet de l’album reste "La Tremblante", une machine à larmes. Une déclaration d’amour où il est question de mouton et de tondeuse à gazon, soit quelque chose d’inédit.
"J’aurai(s) l’air heureux…" c’est ce qu’y susurre cette voix fière et chevrotante. Le monde de Tue-Loup pourrait être résumé par cette phrase. Le conditionnel, l’espoir et la rancœur annonciateurs d’un désir de vengeance sur sa propre vie. Tue-loup avance toujours la rage au ventre mais la transcende un peu plus sur "Penya". Apaisé, le groupe ne semble pas l’être encore, mais aspire un peu plus à l’être. "La Bancale" se terminait par un "Quittons La France" exutoire, "La Belle inutile" par un bilan de dégoût familial, Penya lui s’achève interrogateur : "Je me demande si je t’aime encore", le repos n’est plus si loin. Espérons désormais que la réponse est oui et Tue-Loup aura alors bouclé la boucle.
Toro
Celcius
Rest’La Maloya
La Main Droite Du Batteur D’Elvis
Aux Orties
Le Temps Long
Les Diamants
Barque
Buse
Aucun Signe
La Tremblante
Le Facteur Cheval