LES CÔTES DU ROCK – Théâtre antique de Vienne, 22 et 23 juillet 2002
Occupé par un festival de jazz de stature internationale la première quinzaine de juillet, le Théâtre antique de Vienne (Isère) accueille aussi pendant le reste de l’été d’autres artistes rock et variétés qu’on qualifiera poliment de "grand public". Heureusement, cette année, quelques personnes de goût se sont dit qu’un endroit pareil méritait une programmation à la hauteur. D’où les deux soirées des Côtes du rock, qui mêlèrent harmonieusement Français et Anglo-saxons, et qui allèrent crescendo dans l’intensité (et la notoriété), du petit groupe local au monstre sacré.
Les locaux de l’étape, qui ouvrirent donc le lundi soir, s’appellent Daytona, et rappellent les chaudes soirées du Glob il y a dix ans (un nom qui devrait dire quelque chose à ceux qui étaient étudiants à Lyon au milieu des années 90). Dans le même genre, on a vu bien pire. Comme les comiques de Superbus, qui leur succédèrent. On vous fait l’économie des jeux de mots faciles avec le nom du groupe : vous les trouverez vous-même, et ça résumera parfaitement ce qu’on pense de leur musique.
Heureusement, le niveau remonta puissamment avec Hawksley Workman (chemise rose à froufrous sur un haut sans manches piqué à sa petite sœur, pantalon à grosses fleurs bleues : la routine), accompagné de ses fidèles musiciens. Quand on se souvient que l’animal a joué 1 h 40 sans aucun répit lors de son dernier passage au Bataclan, on suppose qu’il fut un peu frustré par les trois quarts d’heure sans rappel imposés par le timing de la soirée. Mais il n’en laissa rien paraître : commençant par "Your beauty must be rubbing off" et terminant avec "No more named Johnny", soit ses deux morceaux les plus forts, ce showman effréné a montré une fois de plus l’étendue de ses talents, entre la guitare, les claviers, la batterie, les "rhythm sticks" et, bien sûr, le micro. Sans l’effet de surprise pour les fans (il y en avait quelques-uns), mais avec un charisme qui aura semble-t-il converti tous les autres. Aujourd’hui la France, demain le monde ?
Aussi sensuel mais nettement plus sobre, Morcheeba termina en beauté cette première soirée. Les compétences musicales du trio (augmenté d’un bassiste, d’un batteur et d’un claviériste) ne sont plus à démontrer. Le groupe est passé maître dans l’art de créer des atmosphères langoureuses mais ne tombant jamais dans la mollesse : à la voix de sirène de Skye et à la guitare fluide et inventive de Ross Godfrey (jouée parfois au bottleneck) répondaient les scratches parcimonieux de son frère Paul et une rythmique tout en sobriété. Une bonne sélection des deux premiers albums et des nouveaux morceaux du même tonneau faisaient oublier quelques tentatives moins heureuses lorgnant sur une soul FM à la Tina Turner. Au bout d’une petite heure et demie, Morcheeba tira sa révérence sur un "Rome wasn’t built in a day" extatique, agrémenté des singeries hilarantes de Paul Godfrey derrière ses platines, et repris en cœur par le public.
Même heure (20 heures pétantes), même endroit le lendemain, Joseph Arthur entre sur scène seul avec sa guitare décorée par ses soins, ses pédales et ses samplers. Ressemblant de plus en plus à John Lennon période "lost weekend", l’Américain très apprécié des Français démarre un "Mercedes" toujours aussi déchirant devant un public pas très concentré. Un autre morceau en solo, puis sa section rythmique le rejoint pour "I donated myself to the Mexican army" (quel titre !), qu’il a paraît-il enregistré avec Gomez mais qui n’est jamais sorti. Une heure de concert : pas mal pour une première partie mais un peu court pour un type qui a récemment joué 2 h 40 au New Morning, dans des conditions de confort nettement moins bonnes. Même si Arthur a suffisamment de présence pour s’imposer face à 4000 personnes, on conseillera d’ailleurs d’aller plutôt l’entendre dans une salle de dimensions modestes. Le concert se termine sur "In the sun", l’une des rares chansons qu’on aura reconnue. A l’évidence, ce n’est pas sa maison de disques qui lui dicte ses setlists… Mais d’un artiste qui a sorti, en quatre maxis confidentiels, plus d’une heure trente de musique inédite juste avant la parution de son troisième album, cela n’étonne pas vraiment.
Avec Dionysos, en revanche, tout le monde connaît les chansons, sauf peut-être les plus anciennes comme "Ciel en sauce" (sic). On ne peut pourtant pas dire que le groupe en donne des versions absolument fidèles aux disques. On peut d’ailleurs apprécier un concert des cinq de Valence (Drôme) sans connaître leurs albums, ou sans en être particulièrement fan. En fait, il paraît difficile de ne pas aimer un concert de Dionysos, tant le groupe déploie une énergie exceptionnelle. Comme d’habitude, le chanteur, Mathias, a traversé la fosse porté par le public, et a même grimpé les gradins inférieurs du Théâtre antique, avant de retourner sur scène de la même façon. Voilà un groupe qui n’a pas volé sa popularité.
De quoi placer la barre très haut pour Iggy Pop. Mais même à 55 ans, l’iguane torse poil – qui, en 70, faisait la même chose que Mathias -, reste une bête de scène hors du commun. Certes, ce fut court (une heure, rappel compris), mais intense. On en a encore les oreilles qui sifflent, d’ailleurs. Bien sûr, musicalement, tout cela reste cro-magnonesque, et même parfois assez proche d’un hard rock de troisième zone, avec longs cheveux bouclés et guitare en V (mais sans solos, ni aucune fantaisie visant à épaissir ou rallonger la sauce). Enfin, on ne va pas voir le "parrain du punk" pour goûter des chœurs à la tierce et des accords de septième diminuée. Ce qui pourrait n’être qu’une visite au zoo ou à la maison de retraite reste finalement l’une des dernières raisons de croire à ce bon vieux rock’n’roll, Iggy étant sans doute le dernier quinquagénaire à pouvoir encore l’incarner (crachats, saut dans le public, jets de pied de micro) sans tomber dans le ridicule. Et puis, 30 ou 35 ans après, "Je voudrais être your fucking dog" (1), "I got a right" ou "Search and destroy" résonnent toujours avec la même urgence. Joseph Arthur était paraît-il tétanisé. J’ai appris le lendemain que les Fleshtones au complet étaient dans le public, et que l’un des membres de ce groupe garage mythique (quoiqu’en demi-sommeil depuis longtemps) habite le patelin à côté de chez moi… Décidément, Raw Power forever.
Vincent
Photographies d’Hervé Coste.
(1) Souvenir de son concert de 93 à Clermont-Ferrand, où il introduisit ainsi le morceau "I wanna be your dog".