LUCINDA WILLIAMS – Essence
(Lost Highway / Universal )
Je voudrais ici éveiller l’attention de tous ceux qui ne connaissent pas Lucinda et qui ont un a priori fâcheux sur certains artistes dits de " country rock ", pour en avoir écouté des mauvais peut-être, et aussi parce que le genre n’est pas vraiment européen. Moi-même, il y a quelque temps, c’était " non merci ", mais j’ai retourné ma veste qui, je vous rassure, n’est pas indienne, ni à franges, et je ne porte pas de chapeau de cow-boy. Je n’ai aucune fascination particulière pour la country. Par contre, et c’est tout récent – et vive le net, je découvre derrière l’étiquette assez vendeuse outre-atlantique, une foule d’artistes captivants, maîtrisant l’art de donner des frissons d’émotion sur trois notes, régulièrement dotés d’une voix dont on ne peut plus se passer, et qui préfèreront toujours revenir à un bon vieux morceau traditionnel, inscrit dans la mémoire de la condition humaine, plutôt que de s’égarer dans les maladifs méandres de jeunes gens qui s’ennuient et nous le bâillent à longueur d’œuvres sans vie. Lucinda Williams est de ceux-là, à la différence qu’elle s’est élevée au delà du genre – qui a tendance à être puriste – par une forte personnalité (une sorte de Patti Smith enfantée par Emmylou Harris) et une élégance mélodique qui m’a personnellement rappelé les Only Ones, ce groupe au son si beau, circa 78-80…
Donc une chance particulière de plaire aux européens, ce qui s’est passé avec le chef-d’œuvre précédent, " Car Wheels On A Gravel Road ", sorti il y a deux ans, de façon assez discrète tout de même…Peut-être était-ce encore un peu trop country ? Mais si poignant ! Du niveau du " Tonight’s The Night " de Neil Young…en plus beau encore, notamment grâce à la voix ( ah !les voix, mes amis, tout est là ! ) de Lu ( c’est son croquant petit nom…), tour à tour griffeuse et tendre, douce et brisée. Une voix qui fait encore la différence sur ce nouveau disque, " Essence ", sorti en juin : moins énergique et varié que le précédent, il est néanmoins beau et attachant.
La production est nette, intimiste et proche de nous. La voix de Lucinda effleure votre joue. Elle s’insinue dans votre cœur, toute de peine et de chagrin, mais languide et envoûtante. C’est très triste, mieux vaut ne pas aborder ce disque de façon linéaire : c’est une " essence " ( je ne crois pas que le titre soit un hasard ), une couleur, un état d’âme. Je lui trouve un charme immatériel, presque métaphysique, avec cette idée du " Flacon " de Baudelaire ( je vous invite à relire ce poème )…à moins que j’ai la berlue, à moins que je ne sois ensorcelé…
Lu, accompagnée par Bo Ramsey ( guitariste attitré de Greg Brown ) et le musicien-producteur Charlie Sexton sur les onze morceaux du disque, transcende toujours le même répertoire : des ballades folk ( " I Envy The Wind ", " Blue " ) ou country ( " Bus To Baton Rouge " ), des moments plus groovy et ambiants ( "Are You Down" ), un morceau-titre classique et inspiré auquel ont discrètement participé Ryan Adams ( à la guitare trémolo ) et Gary Louris (actuel leader des Jayhawks, ici dans les chœurs )… le tout dans une unité de ton, une cohérence émotionnelle qui ajoute à la qualité d’un album digne de ce nom. De " Lonely Girls " à " Broken Butterflies ", Lucinda confirme qu’elle est bien une des individualités les plus fortes et authentiques parmi les singer-songwriters d’aujourd’hui – en dehors de toute mode.
Lonely Girls
Steal Your Love
I Envy The Wind
Blue
Out Of Touch
Are You Down
Essence
Reason To Cry
Get Right With God
Bus To Baton Rouge
Broken Butterflies