RADIOHEAD – Amnesiac
(Parlophone)
Avant de parler de ce disque, je tiens à apporter quelques précisions: je n’ai jamais été un fan inconditionnel de Radiohead et certains de leurs « atermoiements artistiques » (pour reprendre les termes d’un ami qui fut l’un des meilleurs rock-critiques de son époque) me laissent circonspect, tout comme les dithyrambes qui accueillent désormais chacun de leurs albums. Dans le même temps, je reconnais volontiers que les ballades de « The Bends » sont d’une intensité et d’une beauté exceptionnelles, que « OK Computer » est un album important et « Kid A », une suite plutôt gonflée. Je garde aussi un souvenir vivace de leurs concerts, même si tout cela date un peu (la dernière fois que je les ai vus, ils jouaient encore dans une salle à taille humaine, et ce n’était pas chez Vivendi Télévision).
En fait, c’est surtout la métamorphose du groupe – ou des cloportes, comme disait l’autre – en l’espace de quelques années qui m’étonne et me laisse admiratif. Je me rappelle Thom Yorke et Jonny Greenwood en forum Fnac, à l’époque de « Pablo Honey ». Ils grattouillaient leurs chansons sur deux pauvres guitares acoustiques (dont une corde cassa, d’ailleurs) pour une poignée d’étudiants, et avaient l’air tellement pouilleux qu’on aurait presque eu envie de leur payer un kebab et une nuit au Formule 1. Radiohead semblait alors condamné aux premières parties de groupes de « rock indé » un peu plus connus qu’eux.
Aujourd’hui, le « rock indé » n’existe (presque) plus, et Radiohead – le meilleur des groupes tirant leur nom d’un titre des Talking Heads – a sans conteste été à la pointe de ce tranquille bouleversement de la scène musicale. Jonny Greenwood est aujourd’hui un amateur de jazz reconnu et un grand prêtre des ondes Martenot; Thom Yorke, tel le Sphinx, ne s’exprime plus que par énigmes dans ses textes. Chez les cinq d’Oxford, la soif de nouvelles découvertes, bien au delà du cadre strict du rock (cf. le récent numéro des « Inrocks » qu’ils ont « supervisé »), semble impossible à étancher. On espère d’ailleurs que leur prosélytisme passionné pour des groupes aussi talentueux qu’eux mais nettement moins médiatisés – des Américains de Sparklehorse aux Allemands de Notwist – permettra à ceux-ci de se faire mieux connaître.
Etonnant parcours, donc. Radiohead a établi son statut de supergroupe en prenant des chemins de plus en plus escarpés, à l’inverse de Cure, qui est devenu vraiment populaire en enregistrant quelques singles sautillants juste après l’abyssal « Pornography ». D’une manière générale, les « géants » attendent d’être au zénith de leur « force de vente » et de leur popularité pour négocier des tournants risqués et ambitieux: Depeche Mode avec « Violator », U2 avec le projet Passengers, voire R.E.M. avec « Automatic for the people » et, plus tard, « Up ». Dans un registre différent, on pourrait aussi citer Bowie et sa période berlinoise, ou même Madonna, Kylie Minogue, George Michael… Ca leur prend une dizaine d’années; Radiohead a grillé les étapes.
Et ce nouveau disque, alors ? Pas si nouveau que ça, d’ailleurs, puisque les morceaux proviennent des mêmes sessions que « Kid A ». Pour aller vite, les deux tiers des chansons (« The Pyramid Song », « You and whose army », « Knives out »…) sont dignes de l’album précédent, tout en étant plus évidentes, directes – leur dynamique rappelle parfois des morceaux de « The Bends ». En revanche, les plages les plus expérimentales marquent les limites d’un groupe qui s’éparpille peut-être un peu trop. « Pulk Pull Revolving Doors » ne va nulle part pendant quatre bonnes minutes et ressemble à une mauvaise parodie de Krautrock ; « Hunting bears » (mais quels ours ?) sonne comme un décalque inutile de la B.O. de « Dead Man » par Neil Young; « Like Spinning Plates » (mais quelles assiettes ?) est meilleur mais ses bidouillages restent un peu vains.
Du grand songwriting et une légère complaisance : le bilan est donc « globalement positif ». « Amnesiac » confirme la créativité du groupe, mais sans ouvrir beaucoup de nouvelles pistes. Difficile donc de deviner à quoi ressemblera la suite: fuite en avant ou retour en arrière (lors de son récent concert à Canal, Radiohead a ressorti les guitares pour une reprise de « Cinammon girl » de Neil Young – décidément … -, qui devait être coupée au montage) ? En tout cas, « No surprises » semble être l’inverse de leur ligne de conduite … ce qu’on ne peut qu’approuver.
Vincent
Packt Like Sardines In A Crushd Tin Box
Pyramid Song
Pulk/Pull Revolving Doors
You And Whose Army?
I Might Be Wrong
Knives Out
Morning Bell/Amnesiac
Dollars & Cents
Hunting Bears
Like Spinning Plates
Life In A Glass House