FRANKIE SPARO – The Red Scare
(Constellation)
Amis hédonistes, passez vite votre chemin ! Frankie Sparo est à peu près la totale antithèse de Frankie Vincent : soit un exercice d’exploration et de mortification intimes, musicalement déstabilisant et émotionnellement dévastateur, devant lequel le chroniqueur décontenancé n’a d’autre choix que de faire marcher la machine à métaphores : tient-on là un disque d’hiver nucléaire, une bande-son au ralenti d’un crash-test ? Sorti sur le label canadien Constellation, on note que le disque a été enregistré avec des membres de Godspeed you black emperor! : l’indice est maigre mais révélateur. On tient là, comme pour GYBE! un disque malaisé, pas confortable…et totalement étranger aux productions contemporaines. Mais contrairement au groupe précité, pas de mur du son pour ébranler les consciences. My Red scare, disque autarcique, ne prétend changer rien ni personne. Il donne juste à entendre la voix singulière de son auteur, au moyen d’un assemblage de lambeaux de musiques répertoriées ailleurs : country-valse lente (Bastard heart), pluie de cordes désespérées (the loneliest mademoiselle), fragments d’électronica (Novak again) et de musique industrielle. On ne peut même pas accoler l’étiquette post-quelque chose, my red scare étant en dehors de tout repère habituel. Quelques images surgissent de temps en temps : les guitares rouillées et les rythmes jetés pêle-mêle donnent l’impression d’un disque-chantier en lente construction, avec des échafaudages branlants et des échelles renversées. Ou l’inverse : l’impression d’un disque-bateau en train de sombrer en faisant de terrifiants grincements de coque (Send for me). A la fois éparse (peu de rythmes, beaucoup de silences) et violente (la constante tension des guitares), la musique de My red scare renvoie à toutes ces peurs primitives que l’on affronte tôt ou tard : peur du froid, peur du noir, peur de la solitude. Néammoins, pas de pathologie larmoyante ou psychotique dans cette radicale mise à nu, pas vraiment de catharsis ni de rédemption non plus : juste la contemplation démissionnaire d’un monde dévasté et déserté. Dans ce paysage inhospitalier, tout ce qui reste d’humain tient à la voix : une voix pourtant pas rassurante, pas facile, tenant la comptabilité exacte de tous les effondrements personnels. Une voix épuisée et désenchantée mais n’hésitant pas à occasionnellement crooner (the night that we stayed in), ironie du chant qui se sait condamné à l’extinction prochaine. Evidemment, difficile de ne pas trouver dans quelques morceaux de ce très grand disque l’écho d’autres oeuvres de fin de parcours, le Dynamite de Stina Nordenstam (here comes the future), le Notes Campfire de Souled American (Disminish me NYC), le Tonight’s the night de Neil Young ou encore le Sister lovers de Big star (a citizen’s farewell). My Red scare, compagnon dérangeant et fascinant, aura été le disque idéal pour célébrer sarcastiquement la fin du millénaire -un antidote à l’illusion des recommencements.
Laurent
Bastard heart
My stunning debut
Disminish me nyc
A citizen’s farewell
Novak again
The loneliest mademoiselle
Send for me
This side of her
If you’re fancy free
Here comes the future
The night that we stayed in