OUTKAST – Stankonia
(Arista / BMG)
Responsable de trois albums majeurs, Outka épaulé par Organized Noize, était jusqu’ici le duo hip hop de la grande synthèse, les seuls rappeurs à marier à ce point succès commercial, unanimité critique et exigence artistique, les seuls à concilier d’aussi forte manière leur immense dette envers les musiques noires du passé et des velléités expérimentales de plus en plus flagrantes. Il est fort à parier, cependant, que ce bel unanimisme en prenne un sacré coup, avec la sortie de ce nouvel album poussant droit devant les expériences électroniques déjà manifestes sur certains titres d' »Aquemini« , son illustre prédécesseur. Les fans d’Andre 3000 (le nouveau pseudo de Dre) et de Big Boi se sépareront à coup sûr entre pro et anti-Stankonia. J’ai pour ma part fermement choisi mon camp : sans ambages, je suis parmi les premiers.
« Bombs over Baghdad », incroyable single bourré d’idées, immense cocktail de rythmiques quasi jungle, de phrasé hyper speed, de guitares heavy et de choeurs d’enfants guerriers, retour heureux à l’esprit disparu du Bomb Squad, n’avait pas trompé sur la marchandise. Pas plus que « Ms. Jackson », second single imparable, mariage époustouflant entre un piano, un fond musical synthétique et les voix soul chères à Outkast. Stankonia est bien LA bombe, un classique évident comme il en sort peu, même dans les périodes les plus fastes pour le rap.
Le plus flagrant sur Stankonia, c’est l’omniprésence de l’électronique. Andre 3000 et Big Boi l’ont avoué, ils se sont inspirés de la rave culture, ils y ont prêté une oreille critique et sélective. Assimilées, intégrées, digérées, les influences ressortent mais ne ressemblent à rien de connu. C’est de l’électronique mais immanquablement, c’est du Outkast, et pas seulement parce que les deux comparses posent en permanence leur accent sudiste reconnaissable entre dix mille sur chacune ou presque des compositions.
Dans quel genre, en effet, ranger l’inquiétant « Gangsta Shit » et les voix d’outre-tombe qui l’habitent ? Ou un « Slum Beautiful » curieusement surmonté par la voix d’un toaster ? Ou encore les zigouigouis synthétiques qui pointent leur nez sur « I Call before I Come » ? Et « Snappin and Trappin », divagation que l’on croyait réservée aux ciboulés de la Bay Area ? Et que dire de la fin instrumentale libre et étonnante de « Question Mark » ? Est-ce de la blip music, ou la dernière mutation de l’electro autrefois défendue par Bambaataa ? Jamais la musique d’Outkast ne se laisse si facilement cataloguer.
Le duo n’a pourtant rien renié de ses racines soul et funk. Stankonia est rempli à ras bord de ces genres, imbriqués dans les bizarreries électroniques déjà abondamment évoquées comme sur « Call before I Come », « Red Velvet » ou « So Fresh and So Clean ». D’autres titres, à force de voix de fausset, illustrent encore les mêmes influences, mais dans un format nettement plus traditionnel, comme « Spaghetti Junction » ou « Humble Mumble », merveille up-tempo aux choeurs magnifiques assurés par Erykah Badu. Et pour que le tableau soit complet, les paroles du duo rejoignent souvent cette simplicité naïve dans les paroles, désarmante et sidérante, qui a fait le bonheur de la meilleure soul (« I wish I would do love to every molecule of you »).
Et ça n’est évidemment pas tout. Le champ d’Outkast est immense, et le duo fait aussi son marché auprès du rock. Il sait rendre sexy des guitares fuzz sur « Gasoline Dreams », voire heavy sur « Bombs over Baghdad ». Leur label a bien essayé de leur interdire ces instruments, qui ne correspondent pas franchement à la programmation habituelle des radios noires, mais Andre 3000 et Big Boi se sont montrés intraitables. Outkast a aussi éparpillé quelques nuances jamaïcaines, voix reggae ou ragga, selon les moments, droit devant, par exemple sur les « Slum Beautiful » et « Snappin and Trappin » déjà mentionnés.
Alors, quels défauts trouver à Stankonia ? Il n’est même pas possible d’isoler un seul mauvais morceau. Quand bien même il existerait, que pèserait-il quand à l’issue de ce parcours survient l’estocade finale, le sublime, l’affolant, le surréel, l’impensable « Stanklove », une nouvelle merveille soul, longue et divine, introduite par quelques sons particulièrement inquiétants, qui dépasse même ses cousins « Southernplaya… » sur le premier album, ou « Liberation », sur le dernier ? Pfffffffffff…
Andre 3000 et Big Boi ont fait ce qu’ils voulaient, les mains apparemment libres, et livré un résultat hors du commun. Ils nous rappellent, fort à propos, que les plus grands expérimentateurs des 60’s et des 70’s, les seuls dont les oeuvres se sont avérées durables, sortaient des sophistications soul et de l’exubérance p-funk, plus que du rock progressif ou d’autres inepties. Outkast, aujourd’hui pris entre un hip hop expérimental de plus en plus blanc et un rap noir de plus en plus sclérosé, pour grossir le trait, sont les derniers, les ultimes tenants de cette illustre tradition. Libre, inventif, décomplexé, le duo écrase la concurrence et ne fait que confirmer, encore, encore et encore, qu’il est infaillible, comme aucun groupe hip hop, j’ai bien dit aucun, ne l’a jamais été.
Sylvain
Intro
Gasoline Dreams (feat. Khujo Goodie)
I’m so Cool (Interlude)
So Fresh, So Clean
Ms. Jackson
Snappin’ & Trappin’ (feat. Killer Mike & J-Sweat)
D.G. (Interlude)
Spaghetti Junction
Kim & Cookie (Interlude)
I’ll Call Before i Come (feat. Gangsta Boo & EC)
B.O.B.
Xplosion (feat. B-Real)
Good Hair (Interlude)
We Luv Deez Hoez (feat. Backbone & Big Gipp)
Humble Mumble (feat. Erykah Badu)
Drinkin’ Again (Interlude)
?
Red Velvet
Cruisin’ in the ATL (Interlude)
Gangsta S*** (feat. Slimm Calhoun, C-Bone & T-Mo Goodie)
Toilet Tisha
Slum Beautiful (feat. Cee-Lo)
Pre-nump (Interlude)
Stankonia (Stanklove) (feat. Big Rube & Sleepy Brown)