ASSOCIATES – Fourth drawer down
(V2, réédition)
Cette pochette, on l’avait croisée plusieurs fois, en format 30 cm, dans les bacs de vinyles d’occasion. On avait été intrigué par ces deux beaux gosses en tee-shirt noir sans manches, photographiés dans une piscine, fixant l’objectif d’un regard indéfinissable. Et puis on avait hésité, comme souvent avec les disques du début des années 80 – pour un Talking Heads ou un Orange Juice qui n’ont pas pris une ride, combien n’ont pas passé l’épreuve du temps … Au printemps dernier, on est tombé sur "The Affectionate Punch", le premier album des Associates (80), éclipsé en son temps par le "Seventeen seconds" de Cure (même label, même producteur, mêmes graphistes pour la pochette…) – deux disques dont le seul point commun est d’être, aujourd’hui encore, parfaitement singuliers, le premier par son baroquisme et le second par son jansénisme. Et on a eu envie de découvrir les épisodes suivants.
Ca tombe bien : V2 vient de rééditer "Sulk" (2e album et plus gros succès commercial), "Double hipness" (double compilation, "for fans only") et "Fourth drawer down" – qui nous intéresse ici. C’est un "faux" album, même s’il en a l’homogénéité, qui rassemble quatre singles sortis en 81, entre les deux premiers albums. La réédition comporte cinq précieux morceaux bonus.
Après "The Affectionate punch", Billy McKenzie, chanteur habité, et Alan Rankine, musicien inspiré, sont courtisés par plusieurs majors, qui leur allouent de confortables avances pour enregistrer de nouvelles démos. Malins, les deux Associés leur en filent des vieilles à la place et enregistrent avec l’argent récolté une série de maxis dont ils vendent les bandes au label indé Situation 2.
Les notes de pochette racontent des sessions dignes de celles de "Pet sounds". Mais ici, l’atmosphère régnant en studio, due en grande partie à la consommation d’amphétamines et de diverses substances, a fortement déteint sur la musique. Le sentiment de claustrophobie et de paranoïa qui s’en dégage a peu d’équivalents (le "Spiderland" de Slint dans un genre très différent, peut-être). On sent des influences évidentes : la trilogie berlinoise de Bowie, Roxy Music, les Sparks (en bref, la tradition art-school décadente anglaise), le Scott Walker presque expérimental de la fin des 70’s, Kraftwerk et tous les groupes synthétiques de l’époque (Suicide ?) … Des références sans doute partagées par de nombreux contemporains, mais que les Associates furent les seuls à transcender ainsi, grâce à la voix hors du commun de McKenzie (l’une des plus marquantes des deux dernières décennies) et au génie visionnaire de Rankine. Les instrumentaux jettent un pont entre les B.O. de films d’espionnage (type "Le troisième homme", l’ensemble du disque baignant d’ailleurs dans une ambiance "guerre froide" délétère) et Portishead ou Broadcast, voire Aphex Twin. Les chansons portent des titres insondables et McKenzie chante des textes dont Noel Gallagher n’aurait même pas l’idée. Les guitares sont parfois aussi tranchantes que chez Wire ou Josef K. Sur le dernier morceau, "Blue Soap", McKenzie croone dans son bain, avec comme seuls accompagnements le robinet qui goutte et, venant du studio, l’écho assourdi du dernier morceau que le groupe vient d’enregistrer (et qu’on a retrouvé un peu plus tôt sur le disque) ! Qui oserait cela aujourd’hui ? Un mauvais groupe lo-fi avec chanteur asthénique, peut-être. Les Associates étaient tout le contraire.
Bref, "Fourth drawer down" est un OVNI musical. Il faut se faire un peu violence pour monter à son bord, accepter de frôler l’excès, le grandiloquent, le boursouflé, à l’opposé d’une certaine tendance actuelle au dépouillement , d’Herman Düne à Dakota Suite.Mais c’est un disque auquel on revient sans cesse tant il semble inépuisable. L’année suivante, le groupe sortait "Sulk", album aussi ambitieux mais plus accessible, qui leur vaudra quelques passages – paraît-il flamboyants – à "Top of the pops". Au seuil de la gloire, McKenzie enverra tout balader et rentrera chez sa mère, en Ecosse – névrose d’échec classique . Le groupe ne produira plus grand-chose de notable par la suite. En 97, Billy McKenzie se suicide peu après la mort de sa mère, alors qu’il venait d’achever un album solo pour Nude, le label de Suede (peut-être les plus brillants héritiers des Associates, même si on se demande s’ils les ont beaucoup écoutés). Le disque sera à peine distribué. Raison de plus pour accueillir comme elles le méritent ces rééditions.
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