CATHAL COUGHLAN
De retour après quatre longues années d’absence avec un superbe nouvel album, « Black River Falls », Cathal Coughlan, irascible ex-leader de Microdisney et de Fatima Mansions, délivre quelques jets de fiel bien sentis, comme aux plus beaux jours. Toujours aussi en forme, ce Cathal : un entretien sans langue de bois…
Tu avais disparu de la circulation ces derniers temps. Les rumeurs se sont multipliées, on a tout entendu et son contraire, que tu tondais des moutons en Australie ou que tu prenais part à un show à New York. Il a même été dit que tu étais une création de l’esprit n’ayant pas d’existence réelle. Alors, maintenant que tu es bel et bien de retour, est-ce que tu peux nous dire ce que tu as fait depuis la sortie de « Grand Necropolitan » ?
J’ai beaucoup voyagé, et j’ai partagé mon temps entre le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Irlande – rien de très glamour, vraiment, la plupart du temps j’étais trop fauché pour pouvoir faire quoi que ce soit. Mes centres d’intérêts, en particulier pour la création de musiques de films et de théâtre, sont beaucoup plus larges. Et puis il y a ce nouveau truc : internet… Je suis assez d’accord avec cette histoire de création de l’esprit qui n’aurait jamais existé, et qui n’existe pas non plus maintenant.
Il t’a seulement fallu quelques mois (un seul ?) pour passer de Microdisney à Fatima Mansions. Il t’a fallu quatre ans entre « Grand Necropolitan » et « Black River Falls ». Est-ce que tu mets plus de temps pour écrire et composer ou est-ce que ton ancien label (Radioactive) t’a mis des bâtons dans les roues ?
Après Microdisney, j’étais prêt à faire des concerts et espérer que quelque chose tournerait dans mon sens. Le business à cette époque était tellement actif que c’en était de la folie et on pouvait se permettre ce genre de démarche. Ce serait débile de tenter la même chose maintenant. J’ai joué en Irlande en 1997 et aux Etats-Unis en 1998. C’était marrant mais ça ne menait à rien. La principale perte de temps est due au fait que je n’étais pas autorisé à sortir de disque, parce qu’à moins d’être extrêmement populaire (beaucoup plus que moi en tous les cas) le public ne se déplace pas pour voir un artiste qui n’a rien sorti depuis un certain temps. Donc la faute revient à Radioactive qui voulait s’assurer que je sois totalement fini et incapable de leur foutre la honte auprès d’autres labels.
Quand Microdisney s’est séparé, tout le monde a décrit Sean O’hagan comme le gentil et toi comme le méchant. Etait-ce vraiment le cas ? T’arrive-t-il de te repencher sur le cas Microdisney et de souhaiter que cela se soit passé différemment ?
Je n’ai aucune idée sur ce qui est bon ou mauvais dans une telle situation, et je n’ai aucune intention de me lancer dans une sale autopsie à ce sujet. Microdisney, en tant que collaboration entre moi et Sean, n’existait déjà plus deux ans avant le split officiel. Ceux qui souhaitaient entendre le groupe sans le « méchant » ont pu le faire à loisir avec les deux, trois premiers que Sean a sortis après Microdisney. Ces types là m’ont laissé tomber après ça et de toute façon je les emmerde. J’ai eu un public tout neuf et nettement plus large avec les Fatima Mansions, même si pas mal de personnes avaient honte de ce groupe. Qu’ils aillent se faire foutre.
Je regrette la façon dont s’est passé le split de Microdisney. Beaucoup d’angoisse, d’embarras et de gaspillage de fric auraient pu être évités si je m’étais comporté en adulte. Mais attention, je n’étais pas tout seul. Je regrette mon comportement de l’époque mais certainement pas le split, no fucking way.
En Italie tu as causé une émeute, pendant la même tournée avec U2 tu as volé le show à l’attraction principale. Avec Fatima Mansions vous avez tourné comme des bêtes après chaque album… Est-ce un besoin physique d’être en contact avec le public ou est-ce juste un job dont tu t’acquittes très bien ?
Il y a une différence entre les tournées et un concert. Les tournées c’est du business. Donc partir en tournée est une obligation qui m’est donnée. Je n’aime pas ça et je ne l’ai jamais aimé. Il y a des bons soirs, bien sûr, et ça c’est encourageant, mais cela ne touche que quelques personnes et ne m’aide pas à mon projet principal qui est de produire une musique en laquelle je crois et de la voir sortir sur disque.
Il est difficile de résister à la pression de la tournée quand les radios ne passent pas vos disques, les maisons de disques semblent penser que c’est une promo économique même si cela coûte de l’argent : toutes les crises financières qui ont jalonné ma carrière ont commencé à cause des tournées.
Dans un monde idéal, je ferais juste de petites séries de concerts dans des petites salles. Mais il semblerait que personne n’en veuille.
Tu vas tourner pour la promo de « Black River Falls » ? Des dates en France ont-elles été prévues ?
Il n’y a pas la moindre demande pour qu’une tournée soit organisée. Et de toute façon je n’ai pas le cash pour la financer. En ce qui concerne la France, il me semble que « Les Inrockuptibles » m’ont fait une chronique sympa, mais je n’ai rien vu d’autre. [Et POPnews alors ? – ndt]
J’aimerais bien y faire un tour. On y a eu quelques bons concerts par le passé.
Où as-tu été dénicher Dawn Kelly ? Sa voix sur « The Dark Parlour » est le parfait complément de ta voix et du jeu de guitare. Cette chanson pourrait bien être ma chanson préférée de l’album (avec « The Limehouse Cut » et les dix autres….)
Dawn chantait dans un groupe qu’un ami commun avait monté en Irlande. On a ainsi pu tourner ensemble en 1997. C’est une chanteuse et une « songwriteuse » très douée, et je crois dur comme fer qu’elle percera un jour dans le monde de la musique. Même si elle devra se frayer un passage à travers le petit monde corrompu qu’est le music business irlandais. « Dark Parlour » est une des premières chansons à avoir été écrites pour l’album. Et les paroles essayent de savoir pourquoi je suis un raté de première (« fucking failure », ndt) (des origines paysannes tronquées, aucune racine me raccordant à ce monde où j’ai grandi par la suite). L’ombre de Sandy Denny (une de mes songwriteuses préférées) y est omniprésente, mais je crois que c’est une bonne chanson malgré tout.
Certaines des faces B des EP tirés de « Lost In The Former West » étaient des tentatives d’une musique « plus électronique », presque « techno ». Sur cet album, « The Bacon Singer » est basé sur un rythme de jungle. Est-ce le le genre de musique que tu écoutes à l’heure actuelle?
Je détesterais que l’on prenne « The Bacon Singer » pour une tentative de ma part de me faire une place dans la horde des vieux cons qui essayent de prouver qu’ils sont « in ». J’ai juste voulu faire quelque chose d’up-tempo et légèrement jazzy pour accompagner les paroles de guide du voyageur en zone de guerre. Et ça faisait trois ans que je voyais que la DnB s’orientait dans cette direction. Mais cette idée rythmique était déjà là, il y a plus de trente ans. Mon intérêt pour la musique électronique date d’il y a longtemps (depuis Kraftwerk en 1976), mais il a été plutôt hiératique – aujourd’hui, j’écoute Mouse On Mars ou DJ Krust, mais je ne sors jamais en club et plus simplement je n’utilise que peu de technologie pour écrire ma musique. Je n’en ai pas le temps, c’est pourquoi je laisse tout ça aux jeunots qui deviendront plus tard des snobs aux vues engoncées (en fait c’est déjà ce qu’ils sont pour la plupart).
Vas-tu chercher à développer ce côté « techno » de ta musique ?
Non, j’en doute. Le remix n’est intrinsèquement pas sincère, à moins que vous fassiez ce genre de musique vous-même. Les groupes rocks qui essaient de se vendre aux clubbers, cela fonctionne rarement, tout le monde sait que c’est des conneries. Je l’ai fait pour des faces-B, mais c’était une démarche commerciale, je ne le ferai jamais sur un album (de toute façon, ces EP pourrissent au milieu de nulle part maintenant). [Même pas vrai d’abord, je les ai tous et je les écoute régulièrement – ndt]
A la sortie de « Grand Necropolitan », tu as été comparé à Scott Walker. Avec ce nouvel album, la presse mentionne toujours Scott Walker mais aussi Nick Cave. Tu te sens flatté ou gêné par ces comparaisons?
Enervé – parce que cela fait de moi une sorte d’imitateur sans talent qui lui soit propre. Je pense valoir mieux que cela, mais il ne fait aucun doute que les feignasses qui font ce type d’association en deux secondes me contrediront. La référence à Nick Cave me chagrine d’autant plus que nous sommes plus ou moins de la même génération, et même si j’aime plusieurs de ses disques et que je le respecte en tant qu’artiste, je n’ai jamais été « immergé » dans son travail. Peut-être partageons-nous un intérêt commun pour certaines personnes (Dylan, Gainsbourg, etc..), et alors ?!?!? Je me sens mal quand on me compare à lui. Oui, on peut tous les deux chanter des notes basses (parfois seulement dans mon cas) … Tu parles d’une affaire !!!! (Big Fucking Deal…)
A qui souhaiterais-tu être comparé ou associé?
Je ne serais jamais suffisamment arrogant pour répondre « personne », mais j’ai du mal à penser à une réponse précise. Je suis assez seul dans ce que je fais, et j’ai tendance à travailler avec des collaborateurs / musiciens qui ne sont pas à la mode. En fait, je ne m’associe à personne dont j’aimerais les publications. La musique « populaire » telle qu’on la conçoit maintenant est ringarde et éphémère (bien qu’elle vive pour toujours, puisque les copyrights de musique sont si bon marché et permettent une exploitation ad lib). La majeure partie des artistes que j’aime (Astor Piazzolla, Claus Ogerman, le poète / romancier Iain Sinclair) est issue de périodes plus propices et plus évoluées, si je devais vraiment jouer le jeu des associations je pense que je devrais d’abord trouver un nouvelle forme d’art pour travailler.
Histoire de conclure, tout le monde parle de l’effet d’internet sur la musique. Tu viens d’ouvrir ton site et tu réponds à ces questions par e-mail. Est-ce que ce « réseau mondial » change quelque chose pour toi ?
Pas vraiment – je peux faire parvenir des informations sur les concerts etc… aux personnes intéressées, même si je n’intéresse pas les média en Angleterre. Mais je ne sais absolument pas si ce sera un avantage décisif. C’est une avenue qui n’était pas là avant. Je peux communiquer avec certains de mes collaborateurs, comme Joe Gore qui est à San Francisco. Même si la plupart d’entre eux se contentent de se servir de leur Mac pour faire leur musique en ignorant totalement le web…, et j’ai toujours besoin d’être cajolé au téléphone, ou, pire encore, par fax. La « révolution numérique » est juste une nouvelle désillusion capitaliste. Je pense que nous serions beaucoup mieux sans. Mais comme elle est déjà là et que les grosses compagnies s’en servent pour nous entuber, il devient impératif de s’impliquer.