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Concerts

Bob Dylan, Paul Simon – Salt Lake City, Delta Center, 9 juin 1999

Avertissement:
– l’auteur de ce message n’est pas un fan de Simon et ne se prétend pas dylanologue patenté.
– l’auteur de ce message a bien conscience que le Delta Center n’est pas vraiment idéal pour voir Bob Dylan. Trop grand, acoustique infâme, j’en passe et des moins ragoûtantes.

Ceci étant dit…

Paul Simon. Qu’en penser… Peut-être d’abord avouer qu’il a perdu sa voix (sa voie aussi, sans doute). Si au milieu des années 80 j’ai bien dû acquérir quelques albums de Paul Simon, c’est qu’à l’époque je devais sans doute lui trouver un joli brin de voix (je ne comprenais pas ce qu’il chantait, ce qui ne devait finalement pas être plus mal). Mais maintenant plus rien. Calme plat. Alors pour faire bonne figure il s’est entouré de 12 musicos tous très bons techniquement, mais qui ont le mauvais goût de se regarder jouer. Limite variétoche, complètement froid. Mollasson même quand ce sont les cuivres qui se réveillent. Paul Simon faisait déjà de la musique de pasteur, maintenant il est complètement pasteurisé.

L’Amérique ne sait souffrir la demi-mesure. Si tu veux la séduire, soit tu la suces par tous les bouts du cornet, soit tu t’en vas pisser derrière le camion flambant neuf du marchand de glace avant d’y foutre le feu. Elvis, Sinatra, et bien d’autres émargent dans la catégorie Suceurs. Paul Simon en faisait évidemment parti, du temps de Ms Robinson jusqu’aux concerts de Central Park. Il léchait l’Amérique avec sa voix de miel, la caressait ses ballades pastelles, et l’Amérique se laissait faire. Mais voila, Paulo a vieilli. Mal. Certains se laissent encore séduire quand il entonne platement ses vieilles rengaines et même ses plus récentes (les titres de la période Graceland, il y a dix ans déjà, s’en sortent à peu près). Et l’Amérique, elle s’en branle.

Dans la catégorie des pisseurs sur ice-cream trucks, on mettra tout ceux qui regardent l’Amérique assis par terre, ruminant dans leur coin. Ceux qui lui crachent bien volontiers à la gueule. Ceux qui l’ignorent mais ne peuvent s’en passer. De Springsteen à Elliott Smith, et tant d’autres.
Mais avant il y a Bob Dylan.

On a vidé la scène immense de ses projecteurs multicolores, viré le tapis noir de Simon, rangé les estrades. Sol blanc, immaculé. Lumières simples. Surtout blanches, un peu de bleu et d’orange, c’est tout. Un set qui aurait même eu l’air un peu paumé sur une scène trois fois plus petite. Il entre. La classe. La classe pure. Ce mec n’a besoin que de marcher, on sent déjà qu’on a affaire à un miracle. Le célèbre costard noir étriqué contraste parfaitement sur le blanc alentour. Dylan, comme dans les films. Ouais, c’est ca, la Classe… Bien sûr il ne chante plus comme il y à vingt ou trente ans, bien sûr le chant nasille tellement que s’en est limite caricatural. Bien sûr il se vautre de temps à autre dans ses solos de guitare. Mais il en reste encore quelque chose, un énorme quelque chose. J’ai beau chercher, j’ai jamais vu un type aussi « fait » pour la scène. Merde, après tout si ce mec fait 100 concerts par an c’est qu’il doit sacrément aimer ca! Il est tout simplement chez lui. Aucune fierté, aucun besoin d’aller serrer des paluches pour flatter l’auditoire. Il attrape la guitare, la chanson démarre sans trop qu’on y prenne garde, et la jambe gauche commence à se dandiner dangereusement. Il s’approche du micro Just Like A Woman. Jamais vu quelqu’un bouger comme lui. Not just like a woman, but certainly not like a man either. La guibole de gauche prend appui sur les orteils, boot vissée dans le sol, rotation de la hanche, et puis pas chassés sur le côté, petits entrechats pour revenir face au micro, danse avant arrière, jambes pliées tout juste ce qu’il faut. N’importe qui d’autre qui en ferait autant aurait l’air d’un cake mais lui, Dylan, et tout simplement magnifique. Et puis il chope son harmonica sur l’ampli, maintien la guitare dans son dos, et… Y-en a qui ont besoin de toute une section de cuivres et d’une ribambelle de percussions pour faire hurler une foule (voir plus haut). Bob crie dans son harmonica et c’est 20.000 personnes qui jouissent.
Du Dylan acoustique (guitares et contrebasse) au Dylan tout-électrique on aura eu droit à tout. Pas tout ce qui a pu être avant, il y a quelques décennies. Mais tout ce dont il est capable maintenant, c’est à dire bien plus que des milliers d’autres en pleine bourre. La ligne mélodique joliment modifiée sur Just Like A Woman. La répétition de « … like a rolling stone » deux fois au lieu d’une dans le refrain de l’hymne dylanien. Les refrains crachés de Blowin’ in the Wind, la version merveilleusement nostalgique de Highway 61, le « one » disparaissant une fois sur deux comme si les années ne comptaient plus vraiment. Des détails parmi d’autres pour bien se convaincre de Bob fait ce qu’il vaut avec ses chansons. Il les rudoie – sans doute pas assez encore -, il les bouscule un peu pour mieux les faire vivre. Et puis même si je pige pas la moitié de ce qu’il raconte – à peine moins que les experts en bob-slang – ça n’a pas grande importance. Un bout d’Amérique est là, noir sur blanc, dans les cordes de la gorge et de la guitare de Bob Dylan.

Le jour où le camion du marchand de glace s’arrêtera devant votre porte, allez donc lui achetez un beau cornet à deux boules. Et surtout, surtout, n’oubliez pas d’aller mater le type en train de pisser derrière le camion. Il pisse encore comme un dieu.

 

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